Arrêtons-nous quelques minutes sur un fragment temporel bien précis dans le processus créatif du créateur. Cet instant-T résulte d’une conscientisation de la mode. C’est la seconde durant laquelle nous choisissons ce vêtement, car nous savons il nous distinguera dans l’espace public, à plus forte raison lorsque cette pièce est assumée. C’est une marginalisation de la neutralité vestimentaire au profit de sa revendication. Pour une directrice artistique en freelance telle qu’Audrey Richaud, la mode est d’abord un outil qui révèle le conscient ou l’inconscient, revendiqué ou pas. Dans tous les cas, c’est un reflet des enjeux de notre société contemporaine.
“Tout enjeux sociétal va être un élément déclencheur à nos manières de consommer, dont la mode”.
Comme les bureaux de styles, la fonction d’Audrey est d’accompagner les marques, étudier les valeurs de la marque, ses principes, son esthétique pour en dessiner une collection. C’est faire la traduction des valeurs des marques pour lesquelles elle travaille, sur un support textile.
“Le rôle du créateur est de choper cet instant là […] et même en amont, de réfléchir à des comportements qui dans la vie de tous les jours laissent penser qu’il y a quelque chose qui va évoluer, sur la nourriture, la manière de consommer et sur plein d’autres choses donc forcément sur la mode, sur la manière de consommer la mode, son esthétique, les silhouettes …”
Rendre la mode consciente, c’est interroger sa valeur symbolique. La mode est la sémiotique du vêtement, elle porte un message, une voie, en témoigne le gilet jaune porté durant la succession des manifestations en 2019-2020, devenus porteur d’un message.
“À partir du moment où on change notre manière de voir quelque chose, le sens en est changé”.
Rendre consciente la mode, c’est aussi questionner son esthétique. Qu’est ce que le beau ? Aujourd’hui (2020), le sportswear est devenu la définition du beau. Les pièces sportswear n’avait pas vocation à être jugées pour leur esthétique, pourtant, en faisant de ce vestiaire de l’occasionnel, celui du quotidien, la tendance sportswear a fait évoluer la notion du beau. Les claquettes-chaussettes considérées auparavant comme le comble du mauvais-goût se voit devenir un style vestimentaire “in”.
Rendre consciente la mode c’est surtout s’intéresser à ses modes de fabrication. Et là encore, on remarque une évolution sur le marché émergeant de la mode éthique. En effet, la première mode éthique était associée à l’ethnique, Le style qui en résultait ne touchait qu’une partie infime des consommateurs, ceux porteurs d’une mode ethnique. Or, aujourd’hui, avec la demande de transparence des consommateurs sur les moyens de production, des modes plus occidentales se dotent d’une image “éthique”. Ce sont pour ces marques qu’Audrey Richaud aime accompagner pour les faire briller sur la scène de la mode, conformément à leurs principes et à leur identités.
Rendre la mode consciente c’est enfin garder à l’esprit que c’est une affaire d’identités de marques, de genre, de races (sociologiques)… matérialisée par le vêtement. Cette identité de vêtement n’est qu’un écho de notre individualité. Au fil du temps, Audrey Richaud s’est aperçue que sa fonction l’amenant à travailler avec une pluralité de marques aux identités toutes plus différentes les unes que les autres avait déteint sur sa propre façon de s’habiller. Comme par mesure de protection, elle opte aujourd’hui pour une garde-robe personnelle relativement neutre et minimaliste. De cette manière, elle peut mieux se mettre au service de l’identité des pour lesquelles elle travaille.
Retrouvez Audrey Richaud:
Pour aller plus loin:
Miroir miroir, “Le mythe de la Parisienne”, Jennifer Padjemi, produit par Binge Audio, 08/10/2019.
Pfeiffer, Alice, Je ne suis pas Parisienne, Paris, coll. “Essais-Documents”, Stock, 2019.